#6 Items 134 et 135 : Neurochirurgie de la douleur chronique réfractaire

Introduction
Critères de sélection des patients candidats à la chirurgie
Anatomie fonctionnelle de la nociception
Classification des différents types de douleur
Classification des différents types de chirurgie
Arbres décisionnels



Situations de départ
34 Douleur aiguë postopératoire.
35 Douleur chronique.
249 Prescrire des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
250 Prescrire des antalgiques.
258 Prévention de la douleur liée aux soins.
259 Évaluation et prise en charge de la douleur aiguë.
260 Évaluation et prise en charge de la douleur chronique.
261 Évaluation et prise en charge de la douleur de l’enfant et du nourrisson.



Objectifs pédagogiques

  • Connaître la stratégie de prise en charge globale d’une douleur aiguë ou chronique chez l’adulte.
  • Connaître les thérapeutiques antalgiques médicamenteuses et non médicamenteuses.
  • S’assurer de l’efficacité d’un traitement antalgique et l’adapter en fonction de l’évaluation.

    Hiérarchisation des connaissances

Item 134 – Bases neurophysiologiques, mécanismes physiopathologiques d’une douleur aiguë et d’une douleur chronique


Rang Rubrique Intitulé Descriptif
Définition Définition OMS de la douleur
Éléments physiopathologiques Bases neurophysiologiques de la douleur Expliquer les mécanismes de la douleur aiguë et chronique, les systèmes de contrôle de la douleur
Diagnostic positif Savoir mener l’interrogatoire d’un patient douloureux Localisation, irradiation, caractéristiques, antécédents, facteurs aggravants ou améliorants, retentissement psychologique…
Diagnostic positif Reconnaître une douleur aiguë et chronique chez l’adulte Savoir évaluer les composantes et conséquences d’une douleur
Prévalence, épidémiologie Douleur aiguë en ville et à l’hôpital, douleur chronique Notion de prévalence, de sous-estimation fréquente
Diagnostic positif Reconnaître et évaluer une douleur aiguë et chronique chez l’adulte Connaître les outils et échelles d’évaluation de la douleur chez l’adulte communicant et non communicant (connaître le principe des échelles d’hétéroévaluation)
Diagnostic positif Les douleurs par excès de nociception Connaître les principales étiologies des douleurs nociceptives
Diagnostic positif Les douleurs neuropathiques Connaître les principales étiologies, les caractéristiques cliniques des douleurs neuropathiques
Diagnostic positif Les douleurs du cancer Connaître les différents types de douleur du cancer et particularités de prise en charge
Diagnostic positif Les douleurs du sujet âgé Connaître les principales étiologies, les outils spécifiques d’évaluation de la douleur du sujet âgé
Diagnostic positif Les douleurs nociplastiques : fibromyalgie, syndrome de l’intestin irritable Reconnaître une douleur nociplastique/fonctionnelle et savoir l’expliquer aux patients

Item 135 – Thérapeutiques antalgiques, médicamenteuses et non médicamenteuses


Rang Rubrique Intitulé Descriptif
Prise en charge Droit des patients à être soulagés d’une douleur Connaître le cadre législatif et déontologique de la prise en charge de la douleur
Prise en charge Évaluation d’un traitement antalgique Savoir fixer les objectifs d’un traitement médicamenteux et non médicamenteux. Connaître les moyens d’évaluation de son efficacité et de ses risques
Prise en charge Stratégies de prise en charge de la douleur nociceptive Particularités de prise en charge de la douleur nociceptive : douleurs aiguës, post-traumatiques et postopératoires, douleurs procédurales
Prise en charge Stratégies de prise en charge de la douleur neuropathique Particularités de prise en charge de la douleur neuropathique : antalgiques spécifiques, neurostimulation, approches non médicamenteuses
Prise en charge Antalgiques de palier 1 Maniement du paracétamol, des anti-inflammatoires non stéroïdiens et du néfopam : efficacité, effets indésirables, risques
Prise en charge Antalgiques de palier 2 Maniement des antalgiques de palier 2 : indications, effets indésirables, risques de mésusage
Prise en charge Antalgiques de palier 3 Stratégies d’utilisation des opioïdes forts en douleur aiguë, cancéreuse et chronique bénigne. Analgésie multimodale, titration, analgésie contrôlée par le patient. Dépistage des mésusages
Prise en charge Principe de l’analgésie multimodale Pour la douleur aiguë et chronique
Prise en charge Antidépresseurs à visée antalgique Prescrire et expliquer l’intérêt d’un antidépresseur à visée antalgique
Prise en charge Antiépileptiques à visée antalgique Prescrire et expliquer l’intérêt d’un antiépileptique à visée antalgique
Prise en charge Myorelaxants Énumérer les principaux myorelaxants en fonction de leurs principales indications analgésiques, leur mécanisme d’action
Prise en charge Antispasmodiques Énumérer les principales indications d’analgésie par antispasmodiques
Prise en charge Anesthésiques par voie locale et locorégionale Être capable de prescrire et mettre en place un patch pour prévenir la douleur procédurale
Prise en charge Anesthésiques par voie locale et locorégionale Énumérer les principales indications d’analgésie par anesthésiques locaux : patch pour douleur neuropathique, analgésie locorégionale
Prise en charge Connaître les modalités d’action, les indications, les contre-indications du protoxyde d’azote, ainsi que ses effets secondaires incluant le mésusage
Prise en charge Prise en charge non médicamenteuse Connaître les différentes approches antalgiques non médicamenteuses et leurs niveaux de preuve : acupuncture, hypnose, médecine manuelle et physique, ostéopathie, psychothérapie, thérapeutiques cognitivocomportementales/principes inspirés de l’hypnose conversationnelle pour tous : distraction, choix des mots, approche du patient algique ou ayant une procédure potentiellement douloureuse/neurostimulation
Prise en charge Éducation thérapeutique au traitement antalgique Connaître les principales informations à délivrer aux patients
Prise en charge Effet placebo et douleur Connaître les mécanismes de l’effet placebo en douleur, et son utilisation possible


I Introduction

L’OMS et l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP, International Association for the Study of Pain) définissent la douleur comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ».
Cette formulation alambiquée souligne le caractère multidimensionnel de la douleur, qui ne se limite pas à une perception sensorielle mais comprend une part subjective, modulée par le contexte dans lequel elle survient, les expériences personnelles antérieures, des facteurs culturels, sociaux et psychologiques.
Il faut distinguer la douleur aiguë, « physiologique », qui est un symptôme jouant le rôle de « signal d’alarme » face à une agression de l’organisme ; et la douleur chronique ou douleur « maladie », qui perd sa fonction adaptative, envahit la vie quotidienne, devient invalidante et représente pour le patient l’essentiel de sa maladie.
La douleur est chronique lorsqu’elle persiste ou est récurrente au-delà de ce qui est habituel pour la cause initiale présumée. La durée d’évolution classiquement retenue pour définir une douleur chronique est comprise entre 3 et 6 mois. La douleur chronique est à l’origine d’un véritable handicap, avec une dégradation de la qualité de vie, une limitation importante des activités professionnelles et domestiques, et des répercussions psychologiques, familiales et relationnelles. Ainsi, la douleur chronique est un véritable défi médical, avec un coût social et économique élevé. La prise en charge de la douleur chronique relève de structures spécialisées (centres d’évaluation et de traitement de la douleur, CETD) et fait appel à des moyens pharmacologiques mais aussi non pharmacologiques, tels que l’approche psychologique ou la neurochirurgie.

II Critères de sélection des patients candidats à la chirurgie

La chirurgie est une solution de recours réservée à des patients rigoureusement sélectionnés, souffrant de douleurs à la fois chroniques et réfractaires. La chronicité est définie par une évolution des douleurs depuis 3 à 6 mois. Le caractère réfractaire est défini par l’échec préalable de toutes les alternatives non invasives, qu’elles soient pharmacologiques (médicaments antalgiques, avec l’essai de toutes les classes pharmaceutiques potentiellement efficaces), physiques (par exemple stimulation électrique transcutanée [TENS]) (fig. 6.1) ou psychologiques (par exemple thérapie cognitive et comportementale, hypnose).


Fig. 6.1

Stimulation électrique transcutanée (TENS).
Électrodes adhésives cutanées, ici positionnées au niveau de la région lombaire, connectées à un générateur d’implusions électriques (stimulateur) externe transportable. Les avantages sont liés à l’aspect non invasif et à l’absence d’effets indésirables généraux, contrairement à certains traitements pharmacologiques. Les principaux inconvénients sont liés à l’aspect peu pratique de l’application des électrodes (nécessité d’une tierce personne pour une application dans le dos par exemple), la gêne provoquée par les câbles de connexion, le transport du dispositif en journée, le décollement des électrodes en raison de la transpiration, les éventuelles allergies ou irritation de contact, la nécessité d’une éducation thérapeutique pour bien maîtriser le fonctionnement.
Source : dessin de Carole Fumat.


La décision de chirurgie repose toujours sur l’équipe pluridisciplinaire d’un CETD (centre d’évaluation et de traitement de la douleur), impliquant au minimun un algologue, un neurochirurgien, un binôme psychiatre/psychologue, et selon les cas un radiologue interventionnel, un médecin rééducateur et/ou un oncologue. Bien que la chirurgie soit une solution de recours, elle doit cependant être envisagée suffisamment tôt, sans attendre les effets secondaires indésirables des fortes doses d’antalgiques (par exemple opioïdes) ou l’altération de l’état général d’un patient souffrant de douleurs d’origine cancéreuse, qui ne pourrait alors plus tolérer correctement le traitement interventionnel. Pour cette raison, le neurochirurgien doit être partie intégrante du CETD, participant activement aux prises de décisions, et non pas seulement un simple correspondant.

III Anatomie fonctionnelle de la nociception

A Voies de la nociception

Les tissus périphériques (peau, viscères, os, muscles) possèdent des récepteurs nociceptifs (ou nocicepteurs) sensibles aux stimuli nocifs de nature mécanique, thermique ou chimique. Les nocicepteurs correspondent aux terminaisons libres des neurones primaires Aδ et C, qui cheminent dans les nerfs périphériques puis les racines spinales dorsales (sensitives) de la moelle épinière. Leur péricaryon est contenu dans le ganglion de la racine spinale dorsale. Après pénétration dans la moelle épinière, ils font synapse dans la corne dorsale (zone de substance grise) avec les neurones secondaires du faisceau spinothalamique, lequel croise la ligne médiane à hauteur de chaque myélomère pour rejoindre le cordon antérolatéral (zone de substance blanche) et se diriger en direction ascendante jusqu’au thalamus. Du thalamus, de nouvelles projections (neurones tertiaires) se font vers les cortex d’intégration centrale de la douleur : cortex somesthésique secondaire pour la discrimination sensorielle et spatiale (type de douleur [piqûre, brûlure, etc.], intensité, localisation) ; insula et cortex cingulaire antérieur pour la composante affective et émotionnelle (caractère aversif et désagréable de la douleur).
B Contrôles inhibiteurs antinociceptifs
Parallèlement aux voies de la nociception, il existe à l’état naturel des voies de contrôle de la douleur, visant à diminuer la propagation des influx nociceptifs dans le système nerveux central.
1 Contrôle spinal segmentaire : la théorie de la « porte »
À hauteur de chaque myélomère, les neurones Aα et Aβ de la sensibilité lemniscale (tact épicritique et proprioception consciente), qui cheminent dans le cordon dorsal de la moelle épinière, émettent un prolongement collatéral en direction de la corne dorsale, exerçant une action inhibitrice (« ils ferment la porte ») sur la transmission des influx nociceptifs à destination du faisceau spinothalamique. C’est ce que l’on appelle la théorie de la « porte » (« gate control » des Anglo-Saxons) (fig. 6.2). Sa mise en jeu se fait de façon segmentaire, à hauteur d’un myélomère donné, et ne peut donc exercer un effet antinociceptif que sur le territoire (dermatome) correspondant.


Fig. 6.2

Théorie de la « porte ».
Source : dessin de Carole Fumat.


2 Contrôle supraspinal diffus : les opioïdes endogènes
Certaines structures supraspinales, comme par exemple la substance grise périaqueducale, sécrètent des opioïdes endogènes qui vont diffuser dans le système nerveux central en réponse à l’activation des voies ascendantes de la nociception. Leur mise en jeu exerce donc un effet antinociceptif diffus.

IV Classification des différents types de douleur

Il faut distinguer plusieurs types de douleur, dont les mécanismes, la sémiologie et les traitements sont radicalement différents.
A Douleurs par hyperactivité des nerfs crâniens
Dans leur forme primaire/essentielle, elles sont liées à un conflit vasculaire dans l’angle pontocérébelleux, le plus souvent tributaire d’une branche de l’artère basilaire (par exemple artère cérébelleuse supérieure, artère cérébelleuse postéro-inférieure [PICA]), venant pulser au contact d’un nerf crânien.

  • Exemples types : névralgie du trijumeau (V) (voir chapitre 7), névralgie du glossopharyngien (IX).
    B Douleurs par excès de nociception
    Elles sont liées à une hyperactivation des nocicepteurs périphériques, en réponse à une agression des tissus.
  • Exemples types : douleurs aiguës postopératoires, douleurs chroniques d’origine dégénérative ou cancéreuse.
  • Traitements pharmacologiques : les douleurs par excès de nociception sont sensibles aux antalgiques, traitements qui diminuent la genèse/transmission des influx nocifs à un niveau périphérique (par exemple paracétamol) ou central (par exemple morphine).
    C Douleurs neuropathiques (DN)
    Elles sont liées à une lésion (traumatisme, amputation, discopathie, AVC ischémique, AVC hémorragique, etc.) des voies de la nociception et/ou des contrôles inhibiteurs antinociceptifs.
    En fonction du niveau de l’atteinte dans le système nerveux, on distingue :
  • les DN périphériques : la lésion est en position préganglionnaire (au sens physiologique du terme), c’est-à-dire sur le nerf périphérique, segment distal de la racine spinale ;
  • les DN centrales : la lésion est en position postganglionnaire, c’est-à-dire sur le segment proximal de la racine spinale, moelle épinière, tronc, télencéphale.
    La désafférentation créée par la lésion produit des générateurs centraux de la douleur (GCD), localisés au niveau du relais synaptique suivant. Les GCD correspondent à des foyers de neurones nociceptifs spontanément hyperactifs, responsables de décharges ectopiques survenant en dehors de tout stimulus nocif.
  • Exemples types : douleurs post-avulsion du plexus brachial, avec hyperactivité spontanée pseudo-épileptiforme des neurones nociceptifs de la corne dorsale de la moelle épinière, à hauteur des myélomères désafférentés ; radiculagie neuropathique chronique post-discopathie.
  • Sémiologie :
    • délai d’apparition variable mais toujours retardées (plusieurs jours, semaines ou mois, parfois quelques années) par rapport à la lésion initiale ;
    • topographie répondant à une systématisation neurologique (dermatome radiculaire, hémicorps), en lien avec la localisation de la lésion (hernie discale, AVC) ;
    • le territoire des douleurs coïncide avec une zone d’hypo-/anesthésie d’importance et de modalité (tact, chaud/froid, pique/touche) variables, parfois siège d’une hyperpathie ou d’une allodynie ;
    • qualitativement, la DN peut être décrite avec deux composantes distinctes (mais éventuellement une seule est présente), l’une permanente (brûlure, broiement), l’autre paroxystique (décharges électriques) ;
    • le score DN4 (tableau 6.1) permet d’aider au diagnostic, en estimant la probabilité de DN chez un patient, sur la base de 10 items à cocher répartis en 4 questions (DN si score ≥ 4/10 ; sensibilité = 83 % ; spécificité = 90 %).
  • Traitements pharmacologiques :
    • les DN ne sont pas sensibles aux antalgiques usuels ;
    • les DN répondent à des médicaments qui interagissent avec les dysfonctionnements induits dans la transmission et/ou les contrôles inhibiteurs des influx nociceptifs, c’est-à-dire les antiépileptiques (prégabaline, gabapentine), les antidépresseurs tricycliques (amitriptyline) et les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (duloxétine).

Tableau 6.1
Score DN4.

Question : Oui / Non

Question 1 : la douleur présente-t-elle une ou plusieurs des caractéristiques suivantes
1. Brûlure
2. Sensation de froid douloureux
3. Décharge électrique

Question 2 : la douleur est-elle associée dans la même région à un ou plusieurs des symptômes suivants ?
4. Fourmillements
5. Picotements
6. Engourdissements
7. Démangeaisons

Question 3 : la douleur est-elle localisée dans un territoire où l’examen met en évidence :
8. Hypoesthésie au tact
9. Hypoesthésie à la piqûre

Question 4 : la douleur est-elle provoquée ou augmentée par :
10. Le frottement

Oui = 1 point, Non = 0 point Score du patient : /10

Source : Bouhassira D et al. Development and validation of the Neuropathic Pain Symptom Inventory. Pain 2004 ; 108(3) : 248-57.Il peut exister des douleurs mixtes (excès de nociception et neuropathiques), combinant les deux mécanismes physiopathologiques. C’est par exemple le cas de certaines douleurs d’origine cancéreuse, lorsque la tumeur détruit les tissus et envahit les nerfs périphériques/plexus.

D Douleurs nociplastiques
Elles sont définies par l’IASP comme le résultat d’une altération de la nociception, malgré l’absence d’évidence claire en faveur d’une lésion tissulaire causant l’activation des nocicepteurs périphériques ou d’une maladie/lésion du système nerveux somesthésique.

  • Exemple type : fibromyalgie.

V Classification des différents types de chirurgie

L’arsenal thérapeutique comprend trois grands types de chirurgies, c’est-à-dire les chirurgies étiologiques, les chirurgies lésionnelles et les chirurgies modulatrices (ou neuromodulation).

A Chirurgies étiologiques
Leur principe est d’éradiquer la cause « anatomique » des douleurs, par exemple l’ablation d’un névrome ou la libération d’un conflit vasculaire responsable d’une névralgie du trijumeau.
Elles sont donc potentiellement curatives.

B Chirurgies lésionnelles
Leur principe repose sur la destruction sélective des voies de la nociception et/ou des GCD, pour interrompre/réduire la propagation des influx nociceptifs.
Elles sont irréversibles : la lésion anatomique créée est définitive, ce qui constitue le principal inconvénient dans le cas où elle ne serait pas parfaitement circonscrite aux voies de la nociception et s’accompagnerait de déficits neurologiques.
Les indications sont représentées par des douleurs unilatérales, de topographie limitée, essentiellement d’origine cancéreuse (et quelques cas très sélectionnés de douleurs neuropathiques). Les effets de ces interventions lésionnelles sont le plus souvent temporaires.

1 Radicotomies
Principes et technique

  • Section des racines spinales dorsales responsables de l’innervation sensitive du territoire des douleurs.
  • Engendre une anesthésie polymodale (nociception, tact, proprioception consciente et inconsciente) dans le territoire correspondant, car les neurones Aδ-C, Aα-Aβ et Ia-Ib sont regroupés aléatoirement dans la racine spinale dorsale et sont donc tous concernés par la lésion.
  • Doit concerner au minimum trois racines spinales dorsales contiguës pour obtenir un bon résultat antalgique, en raison de l’existence de nombreuses anastomoses entre niveaux adjacents.
    Indications principales
  • Douleurs pariétales d’origine cancéreuse.
  • Non envisageables aux membres supérieur ou inférieur, en raison du handicap fonctionnel qu’induirait la perte des informations afférentes tactiles et proprioceptives.
    2 DREZotomiev
    L’acronyme anglo-saxon DREZ (« dorsal root entry zone ») signifie « zone d’entrée de la racine spinale dorsale » dans la moelle épinière.
    Contrairement à l’organisation aléatoire rencontrée dans la racine spinale dorsale, il existe au niveau de la DREZ une ségrégation spatiale des neurones en fonction de leur valence fonctionnelle : les neurones Aδ-C qui véhiculent la nociception sont en position ventrale-latérale ; les neurones Aα-Aβ (tact épicritique et proprioception consciente) sont en position dorsale-médiale ; et les neurones Ia-Ib (proprioception inconsciente) sont en position intermédiaire. Cet agencement microanatomique est exploité lors des DREZotomies pour créer une lésion sélective sur les voies de la nociception, sans préjudice fonctionnel.

Principes et technique

  • Lésion focale au niveau de la DREZ, avec une angulation de 45° et une profondeur de 4 à 5 mm.
  • Détruit sélectivement les neurones Aδ-C à leur entrée dans la moelle épinière et les GCD dans la corne dorsale, tout en préservant les autres fonctions (tact épictritique et la proprioception).

Indications principales

  • Radiculalgies C8-T1 d’origine cancéreuse (syndrome de Pancoast-Tobias).
  • Douleurs neuropathiques post-avulsion du plexus brachial.

Résultats

  • Soulagement antalgique > 50 %, immédiat.
  • Plus efficace sur les paroxysmes que sur les douleurs permanentes.
  • Effet durable à long terme.

3 Cordotomie/tractotomie

Principes et technique

  • Destruction sélective du faisceau spinothalamique dans son trajet spinal (= cordotomie antérolatérale) ou mésencéphalique (= tractotomie).
  • Induit une anesthésie thermique et algique controlatérale, sous-lésionnelle.
  • Doit être pratiquée nettement au-dessus de la limite supérieure du territoire des douleurs, car le faisceau spinothalamique présente une décussation ascendante sur une hauteur comprise entre 2 et 5 myélomères.
  • La cordotomie antérolatérale peut être réalisée par voie ouverte au niveau de la moelle épinière thoracique supérieure (incision au microbistouri du quadrant/cordon de substance blanche situé en avant du ligament dentelé et médialement par rapport au sillon ventral médian) ; ou par voie percutanée au niveau de la moelle épinière cervicale supérieure (étage C1-C2), sous guidage radiologique (insertion d’une sonde de thermocoagulation ; 60 °C pendant 1 minute, renouvelable jusqu’à l’obtention d’une anesthésie clinique).
  • La tractotomie est réalisée par voie intracrânienne stéréotaxique (insertion d’une sonde de thermocoagulation ; 60 °C pendant 1 minute, renouvelable jusqu’à l’obtention d’une anesthésie clinique).
    Indications
  • Douleurs hémicorporelles d’origine cancéreuse.
  • Si douleurs unilatérales de la moitié inférieure du corps → cordotomie antérolatérale par voie ouverte à l’étage thoracique.
  • Si douleurs unilatérales de la moitié supérieure du corps → cordotomie antérolatérale par voie percutanée à l’étage cervical.
  • Si douleurs unilatérales de l’extrémité cervicocéphalique → tractomie à l’étage mésencéphalique.

Résultats

  • Soulagement antalgique > 50 %, immédiat.
  • Mais épuisement de l’effet après 12 à 18 mois, limitant son intérêt aux patients avec une faible espérance de vie.
  • Plus efficace sur les paroxysmes que sur les douleurs permanentes.
  • C Chirurgies modulatrices (neuromodulation)

    Leur principe consiste à renforcer les contrôles inhibiteurs antinociceptifs.
    Elles sont adaptables/programmables et réversibles, ce qui est essentiel pour assurer leur sécurité, leur personnalisation à chaque patient et leur optimisation tout au long du suivi.
    On distingue les neuromodulations pharmacologiques (pompe programmable d’infusion intrathécale) et les neuromodulations électriques (par exemple stimulation épidurale de la moelle épinière et stimulation du ganglion spinal).

1 Pompe programmable d’infusion intrathécale

Principes et technique

  • La pompe est implantée en région abdominale sous-cutanée ; elle est connectée à un cathéter inséré par ponction percutanée dans les espaces sous-arachnoïdiens spinaux, à travers une aiguille de Tuohy (fig. 6.3).


    Fig. 6.3

    Pompe programmable d’infusion intrathécale.
    Source : figure reproduite avec l’aimable autorisation de la société Medtronic.


  • La pompe fait fonction de réservoir et propulse le médicament antalgique dans le cathéter spinal en respectant très précisément la posologie prescrite avec le programmateur externe (télémétrie).
  • Le choix de la (des) molécule(s) utilisée(s) dépend du type de douleur, par exemple morphine en cas de douleurs par excès de nociception d’origine cancéreuse ou ziconotide (inhibiteur des canaux Ca2 + voltage-dépendants) en cas de DN.
  • L’administration se fait directement dans le liquide cérébrospinal (LCS), permettant ainsi une très grande biodisponibilité du médicament antalgique, au contact direct de ses récepteurs/sites d’action au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière.
  • La diffusion systémique est négligeable.
  • Il en résulte une excellente efficacité et tolérance en comparaison avec les voies d’administration générale (orale/IV) ; par exemple, la posologie intrathécale de morphine nécessaire à l’obtention d’un effet antalgique est 100 fois inférieure par rapport à la voie orale et 10 fois inférieure par rapport à la voie intraveineuse (IV).
  • L’extrémité du cathéter spinal doit être positionnée à proximité immédiate des myélomères cibles correspondant au territoire des douleurs, par exemple à hauteur du cône terminal de la moelle épinière (T12) dans le cas de douleurs pelviennes/périnéales/des membres inférieurs ou à hauteur de T6 dans le cas de douleurs viscérales du plexus caeliaque.

Indications : douleurs de topographie diffuse, bilatérales ou étendues à la ligne médiane

  • Douleurs d’origine cancéreuse (pelviennes, périnéales ou viscérales).
  • Douleurs neuropathiques sous-lésionnelles après traumatisme de la moelle épinière.
  • Très exceptionnellement, la morphine peut être administrée dans les ventricules cérébraux via un cathéter connecté à un réservoir sous-cutané (d’Ommaya), dans le cadre de douleurs étendues de l’extrémité cervicocéphalique d’origine cancéreuse.

Résultats

  • En moyenne, soulagement antalgique de l’ordre de 40 à 50 %.

2 Stimulation épidurale de la moelle épinière
Principes et technique

  • L’électrode est positionnée dans l’espace épidural, sur la ligne médiane, en regard des cordons postérieurs de la moelle épinière ; elle est insérée par voie percutanée à travers une aiguille de Tuohy ou par voie ouverte, puis connectée à un générateur d’impulsions électriques (stimulateur) implanté à distance en région sous-cutanée abdominale ou glutéale (fesse) (fig. 6.4).

    Fig. 6.4

    Radiographie du rachis thoracolombaire de face.
    Électrode à 16 contacts introduite par voie ouverte dans l’espace épidural postérieur pour stimulation de la moelle épinière, dans le cadre de lomboradiculalgies neuropathiques chroniques post-discopathie.


  • La diffusion du courant électrique dans les cordons postérieurs de la moelle épinière induit des paresthésies confortables qui doivent coïncider avec le territoire des douleurs ; le mécanisme d’action supposé à l’origine de l’effet antalgique est un renforcement du « contrôle de la porte » par activation des neurones Aα-Aβ de la voie lemniscale.
  • Indications : DN périphériques et douleurs des membres inférieurs d’origine ischémique
  • Douleur neuropathique radiculaire ou tronculaire post-discopathie, d’origine diabétique, zostérienne, traumatique (par exemple amputation) ou chirurgicale, persistant depuis au moins 1 an.

  • Syndrome douloureux régional complexe (SDRC, anciennement algodystrophie) de type 1 ou 2, persistant depuis au moins 6 mois.
  • Douleur de l’ischémie critique secondaire à la maladie de Buerger.

Recommandations de bon usage édictées par la Haute Autorité de santé (HAS)

  • Validation de l’indication par une équipe pluridisciplinaire (CETD), après évaluation multidimensionnelle de la douleur (physique, psychologique, qualité de vie) ; l’évaluation psychologique est indispensable pour éliminer un trouble de la personnalité de mauvais pronostic, évaluer le retentissement des implants sur la représentation corporelle du patient, et comparer les attentes du patient avec les promesses objectives de la chirurgie.

  • Vérification de l’intégrité des cordons postérieurs de la moelle épinière (voir encadré infra) par une IRM et éventuellement des potentiels évoqués somesthésiques (PES).
  • Réalisation d’une période test ambulatoire d’au minimum 7 jours avant de confirmer l’implantation du stimulateur interne permanent, durant laquelle l’électrode est connectée à un stimulateur externe temporaire ; l’implantation du stimulateur interne permanent est conditionnée à un soulagement antalgique d’au moins 50 % (échelle visuelle analogique, EVA).
  • Suivi des patients à 3 mois puis tous les ans, pour vérifier la pérennité du bénéfice antalgique et réaliser si besoin des ajustements des paramètres de stimulation.

Résultats

  • L’innocuité de la stimulation épidurale de la moelle épinière a été démontrée, et son efficacité se mesure sur différents paramètres (intensité des douleurs résiduelles, niveau de réduction des traitements pharmacologiques, échelles de qualité de vie, réinsertion professionnelle).
  • Deux tiers des patients rapportent un soulagement antalgique significatif ≥ 50%, qui se maintient à long terme.
  • Retour à l’emploi dans environ 40 % des cas.

3 Stimulation du ganglion spinal

Principes et technique
L’électrode est positionnée dans le foramen de conjugaison, au contact du ganglion de la racine spinale ; elle est insérée par voie percutanée à travers une aiguille de Tuohy, puis connectée à un générateur d’impulsions électriques (stimulateur) implanté à distance en région sous-cutanée abdominale ou glutéale (fesse) (fig. 6.5).


Fig. 6.5

Radiographie du rachis thoracolombaire de face et de profil.
Électrode à 4 contacts introduite par voie percutanée dans le foramen de conjugaison L1-L2 droit pour stimulation du ganglion de la racine spinale L1, dans le cadre de DN en région inguinale, post-chirurgie d’herniorraphie.


  • La diffusion du courant électrique induit des paresthésies confortables dans le dermatome de la racine spinale correspondante, dont la distribution doit coïncider avec le territoire des douleurs.
  • L’organisation somatotopique du ganglion de la racine spinale est plus précise que celle du cordon postérieur de la moelle épinière ; la stimulation du ganglion spinal est donc particulièrement adaptée au traitement de douleurs localisées à un territoire discret (1 à 2 dermatomes).

Indications : DN périphériques

  • Syndrome douloureux régional complexe (SDRC, anciennement algodystrophie) de type 1 ou 2, persistant depuis au moins 6 mois.
  • Douleur neuropathique tronculaire post-traumatique ou post-chirurgicale (sur la zone de cicatrice opératoire, par exemple post-thoracotomie, post-herniorraphie, post-arthroplastie), persistant depuis au moins 1 an.

    Pour aller plus loin

Mécanismes d’action de la stimulation épidurale de la moelle épinière

Le principal mécanisme d’action supposé de la stimulation épidurale de la moelle épinière repose sur la modulation de la propagation des influx nociceptifs à leur entrée dans la corne dorsale de la moelle épinière.
En 1965, Melzack et Wall ont publié un travail fondateur proposant une nouvelle théorie de la transmission des influx nociceptifs : le « contrôle de la porte » (ou gate control des Anglo-Saxons) (fig. 6.2). Cette théorie place la moelle épinière au centre d’une modulation fondamentale des influx nociceptifs en provenance de la périphérie, avant leur transmission vers les structures supraspinales d’intégration de la douleur. Deux systèmes somesthésiques afférents « s’affrontent » au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière : un système composé des neurones nociceptifs de petit diamètre (Aδ et C) « qui ouvre la porte » à la douleur ; et un système composé de neurones non nociceptifs de gros diamètre (Aα et Aβ) « qui ferme la porte » à la douleur. Au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière, ces deux systèmes se projettent directement sur le même neurone, point de départ de la voie spinothalamique, qui véhicule les influx nociceptifs en direction ascendante vers le thalamus puis les cortex d’intégration centrale de la douleur. La théorie de la « porte » fait aussi intervenir un interneurone de la corne dorsale (lame II de Rexed), qui reçoit les deux types d’afférences somesthésiques périphériques (Aδ-C et Aα-Aβ) et se projette sur le même neurone spinothalamique. Ainsi, une double modulation opère au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière. Plusieurs preuves ont pu confirmer ce modèle dans le domaine expérimental, électrophysiologique, clinique et pathologique. En condition physiologique, un équilibre permanent évite la transmission d’un message nociceptif. Cet équilibre peut être rompu de deux manières : 1) soit par hyperactivation du système Aδ-C « prodouleur » – ce mécanisme est souvent observé dans les douleurs par excès de nociception – ; 2) soit par hypoactivité du système Aα-Aβ « antidouleur » – ce mécanisme est souvent observé dans les DN, par exemple après une lésion de la racine spinale. Le succès de la théorie de la « porte » a rapidement conduit à concevoir la stimulation électrique de la moelle épinière comme un moyen thérapeutique pour recréer une modulation des influx nociceptifs afférents de type « porte (re)fermée ». Ainsi est née la stimulation épidurale de la moelle épinière. Cependant, des mécanismes d’action supraspinaux/cérébraux concomitants commencent à être identifiés grâce à l’imagerie fonctionnelle et participeraient également au résultat antalgique.


VI Arbres décisionnels

Le choix de la solution la plus appropriée dépend du type de douleur (excès de nociception versus neuropathique), de sa topographie (circonscrite ou diffuse, unilatérale ou bilatérale/étendue à la ligne médiane) et de la localisation anatomique de la lésion causale (DN périphérique versus centrale). Il s’agit donc d’un traitement personnalisé, où la qualité du résultat antalgique postopératoire dépend directement de la rigueur des indications (fig. 6.6).


Points clés

  • La douleur chronique est une douleur qui persiste plus de 3 à 6 mois, avec une répercussion dans le quotidien sur le plan psychologique, social, relationnel, professionnel.
  • La chronicisation d’une douleur est favorisée par la mauvaise prise en charge d’une douleur aiguë.
  • Il existe quatre grands types de douleurs : douleur par hyperactivité des nerfs crâniens, douleur par excès de nociception, douleur neuropathique et douleur nociplastique.
  • La douleur par excès de nociception peut se traiter avec les antalgiques (paliers OMS 1, 2, 3).
  • La douleur neuropathique s’évalue avec le score DN4.
  • La douleur neuropathique ne se traite pas avec les opioïdes.
  • La douleur neuropathique peut se traiter avec des antiépileptiques et des antidépresseurs tricycliques ou inhibiteurs de la recapture de la sérotonine.
  • La chirurgie est une solution de recours réservée aux douleurs chroniques réfractaires, non soulagées malgré l’optimisation des traitements pharmacologiques et non pharmacologiques (TENS, support psychologique, thérapies cognitives et comportementales).
  • Les chirurgies lésionnelles sont indiquées dans les douleurs unilatérales, de topographie limitée, le plus souvent d’origine cancéreuse (et quelques cas sélectionnés de douleurs neuropathiques, par exemple post-avulsion du plexus brachial).
  • Les pompes programmables d’infusion intrathécale sont indiquées pour le traitement de douleurs diffuses, bilatérales ou étendue à la ligne médiane, d’origine cancéreuse (administration de morphine) ou neuropathique (par exemple ziconotide).
  • La stimulation épidurale de la moelle épinière est indiquée pour le traitement des douleurs neuropathiques périphériques.
  • Les radiculalgies neuropathiques chroniques post-discopathie lombaire, lorsqu’elles sont réfractaires au traitement pharmacologique, sont une bonne indication de stimulation épidurale de la moelle épinière.

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