#7 Item 99 : Névralgie du trijumeau

Chapitre 7 Item 99

Névralgie du trijumeau

  1. Épidémiologie
  2. Sémiologie
  3. Diagnostics différentiels
  4. Traitements médicamenteux
  5. Traitements chirurgicaux
  6. Arbre décisionnel


Situations de départ

  • 35 Douleur chronique.
  • 73 Douleur, brûlure, crampes et paresthésies.
  • 118 Céphalée.
  • 144 Douleur cervicofaciale.
  • 178 Demande/prescription raisonnée et choix d’un examen diagnostique.
  • 250 Prescrire des antalgiques.
  • 259 Évaluation et prise en charge de la douleur aiguë.
  • 260 Évaluation et prise en charge de la douleur chronique.

Objectifs pédagogiques

  • Diagnostiquer une névralgie du trijumeau.
  • Argumenter l’attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient.

Hiérarchisation des connaissances


Rang Rubrique Intitulé Descriptif
Prévalence, épidémiologie Connaître l’épidémiologie des céphalées et douleurs de la face
Éléments physiopathologiques Connaître les bases physiopathologiques de la migraine
Diagnostic positif Diagnostiquer une céphalée primaire Savoir écarter une céphalée secondaire et préciser le type de céphalée primaire
Diagnostic positif Conduire l’interrogatoire et réunir les arguments du diagnostic de migraine (avec ou sans aura) Migraine (sans et avec aura), céphalée de tension, céphalée chronique quotidienne
<
Diagnostic positif Conduire l’interrogatoire et réunir les arguments du diagnostic d’algie vasculaire de la face Connaître les éléments cliniques positifs qui permettent de poser le diagnostic
Diagnostic positif Conduire l’interrogatoire et réunir les arguments du diagnostic de névralgie du trijumeau Connaître les éléments cliniques positifs qui permettent de poser le diagnostic de névralgie essentielle ou secondaire du trijumeau
Diagnostic positif Connaître l’intrication migraines, céphalées de tension
Diagnostic positif Connaître les principales causes de douleur de la face Cause tumorale, infectieuse, inflammatoire, dentaire, osseuse, salivaire, neurologique et vasculaire, manducatrice et idiopathique
Diagnostic positif Description clinique des algies d’origine dentaire, sinusienne et buccale Connaître les éléments cliniques positifs qui permettent de poser le diagnostic
Diagnostic positif Description clinique des céphalées d’origine auriculaire Connaître les éléments cliniques positifs qui permettent de poser le diagnostic
Examens complémentaires Connaître les examens complémentaires de 1re intention devant une douleur de la face
Étiologies Identifier les facteurs favorisants éventuels d’une migraine
Étiologies Connaître l’existence de céphalées induites par les médicaments chez le migraineux
Prise en charge Connaître les principes généraux du traitement De la migraine, de l’algie vasculaire de la face et de la névralgie du trijumeau
Prise en charge Savoir conduire un traitement de la migraine et connaître les règles de prise d’un médicament Calendrier des crises, traitement de la crise, mise en route d’un traitement de fond, traitements non médicamenteux
Prise en charge Savoir conseiller un patient migraineux Conseils de nature à réduire les facteurs de risque vasculaire associés
Contenu multimédia À partir d’une vidéo d’interrogatoire, évoquer le diagnostic de migraine, d’algie vasculaire de la face, névralgie du trijumeau

Pour comprendre

Ce chapitre porte sur la névralgie du trijumeau dite classique (anciennement « essentielle » ou « idiopathique »). Les névralgies du trijumeau secondaires ne seront envisagées que comme diagnostics différentiels. Il est surtout important dans cette question de connaître les critères diagnostiques, la place des éventuels examens complémentaires, et de comprendre l’articulation des traitements.

La connaissance de l’anatomie du tronc cérébral, du nerf trijumeau (V), du ganglion trigéminal (de Gasser) et du cavum trigéminal (de Meckel) sera nécessaire à la compréhension de la question (fig. 7.1 et 7.2).


Fig. 7.1

Territoires cutanés du nerf trijumeau.
La branche V1 correspond au nerf ophtalmique de Willis.
Source : dessin de Carole Fumat.



Fig. 7.2

Anatomie du nerf trijumeau (V).

Les trois branches du nerf trijumeau (nerf ophtalmique V1, nerf maxillaire V2 et nerf mandibulaire V3) confluent vers un ganglion sensitif commun : le ganglion trigéminal (de Gasser). Le ganglion trigéminal est situé sur la face supérieure de la partie pétreuse de l’os temporal, dans un dédoublement de la dure-mère : le cavum trigéminal (de Meckel). Il contient les corps cellulaires des protoneurones sensitifs. L’axone des protoneurones forme la volumineuse racine sensitive du V, dont le trajet physiologique est centripète. Celle-ci passe dans le compartiment supérieur de l’angle pontocérébelleux et pénètre dans la partie latérale du pont. L’émergence pontique de la racine motrice (non représentée ici), destinée aux muscles masticateurs, est située plus médialement.


I Épidémiologie

L’incidence en France est de l’ordre 5 à 20 nouveaux cas/100 000 habitants/an. La femme est plus touchée que l’homme (sex ratio : 3/2).
La plupart des cas de névralgie du trijumeau classique apparaissent à partir de 60 ans. L’incidence de cette pathologie augmente avec l’âge.

II Sémiologie

A Interrogatoire

1 Crises douloureuses

La douleur touche un territoire bien spécifique, qui est le territoire du nerf trijumeau, de façon strictement unilatérale. En général, une seule branche est atteinte, le plus souvent V2, plus rarement V3, exceptionnellement V1. Plusieurs branches peuvent toutefois être atteintes simultanément, notamment après quelques mois ou années d’évolution, le plus souvent ce seront les branches V2 et V3.

La douleur est paroxystique : les patients décrivent des éclairs douloureux, (« des décharges électriques ») d’une fraction de seconde. Ces accès douloureux peuvent être groupés en salves durant 1 ou 2 minutes.

Plus que l’intensité de la douleur (toujours forte), c’est le nombre d’accès douloureux qui fait la gravité de la situation : trois ou quatre par jour dans des formes modérées, plusieurs dizaines dans des formes sévères.

Il n’y a, du moins au début de la maladie, pas de douleur entre les crises.

Les crises sont déclenchées par la stimulation d’une zone « gâchette » (contact léger ou frôlement). Celle-ci est en général cutanée, située dans le territoire douloureux : pli nasogénien, pourtour de la bouche, houppe du menton. Elle peut également être muqueuse, avec des douleurs déclenchées par le brossage des dents, l’élocution, la mastication.

Chaque accès douloureux est suivi d’une période réfractaire de 1 ou 2 minutes pendant laquelle la stimulation ne déclenche pas de douleur.

2 Évolution

L’évolution est discontinue : à des périodes douloureuses de plusieurs semaines ou plusieurs mois succèdent des périodes de rémission durant plusieurs mois voire plusieurs années.

On observe globalement une tendance à l’aggravation sur le long terme.

Le « vieillissement » des douleurs s’accompagne également d’une symptomatologie souvent abâtardie, avec notamment une tendance à l’évolution vers des douleurs permanentes de type neuropathique (brûlures).

B Examen clinique

Dans la névralgie du trijumeau classique, l’examen clinique est normal.
Cet examen doit comporter :

  • un examen du nerf trijumeau : on examine la sensibilité épicritique et thermo-algésique des trois étages de la face, de façon bilatérale et comparative, le patient ayant les yeux clos. On examine la sensibilité du territoire muqueux du nerf trijumeau : le tiers antérieur de la langue (V3), les gencives (V2 et V3), la face interne de la joue (V3). On recherche le réflexe cornéen (arc réflexe incluant le V1 et le nerf facial VII). On examine enfin le nerf trijumeau moteur (muscles temporal, masséter et ptérygoïdiens latéral et médial). Pour cela, on demande au patient de serrer les dents sur un abaisse-langue, que l’on parvient facilement à retirer du côté paralysé. On examine l’ouverture de la bouche : en cas d’atteinte motrice sévère, on observe une déviation du menton vers le côté paralysé (bouche oblique ovalaire) ;
  • l’examen des autres nerfs crâniens ;
  • un examen neurologique général, explorant notamment les voies longues et le cervelet.

Huit éléments constituent les critères diagnostiques de la névralgie du trijumeau classique.

  1. Femme.
  2. Début vers 60 ans.
  3. Douleur unilatérale.
  4. Dans le territoire du V2.
  5. Douleur paroxystique.
  6. Sans douleur entre les crises.
  7. Existence d’une zone « gâchette ».
  8. Examen clinique normal.

Si ces critères ne sont pas présents, des examens sont demandés : NFS, CRP, IRM cérébrale et TDM cérébrale explorant en particulier la base du crâne, examen ORL et/ou maxillofacial.


III Diagnostics différentiels

Les principaux diagnostics différentiels de la névralgie du trijumeau classique peuvent être classés ainsi :

  • l’algie vasculaire de la face (AVF), qui est toujours citée dans les diagnostics différentiels de la névralgie du trijumeau. Pourtant, tout les oppose : l’âge, le sexe, le type de douleur, la durée des crises, la topographie de la douleur et l’évolution ;
  • les céphalées trigémino-autonomiques, notamment SUNCT (short lasting unilateral neuralgiform headache with conjunctival injection and tearing) et SUNA (short lasting unilateral neuralgiform headache with cranial autonomic symptoms), qui comportent, contrairement à la névralgie faciale, des signes dysautonomiques, tels qu’injection conjonctivale et larmoiement. Ces douleurs ne peuvent être classées ni dans les AVF, ni dans les névralgies du trijumeau ;
  • la névralgie du glossopharyngien. Il s’agit d’une pathologie très rare. La douleur est également très brève, fulgurante, mais elle intéresse un territoire bien différent : la base de la langue, l’amygdale, le pharynx, et peut irradier vers le méat acoustique externe. Elle est déclenchée par la phonation et surtout, ce qui est très caractéristique, par la déglutition ;
  • les névralgies du trijumeau secondaires (ou symptomatiques), c’est-à-dire révélatrices d’autres maladies. Ici, la névralgie n’est qu’un symptôme. Elles peuvent être classées selon la topographie de l’atteinte trigéminale :
    • atteinte bulboprotubérantielle, intéressant les noyaux du nerf : retrouvée dans la sclérose en plaques surtout, et plus rarement en cas de tumeur du tronc cérébral,
    • atteinte périphérique, intéressant le tronc du nerf : tumeur de la base du crâne (méningiome du sinus caverneux), méningite néoplasique, tumeur de l’angle pontocérébelleux (schwannome vestibulaire, méningiome de la face postérieure du rocher) ;
  • douleurs neuropathiques. Il existe des douleurs neuropathiques de topographie faciale, qui font suite par exemple à un zona ophtalmique, un syndrome de Wallenberg ou une lésion traumatique. Dans ces cas, la douleur est permanente, souvent décrite comme une brûlure, et il existe souvent des troubles des sensibilités douloureuse (hyperalgésie, allodynie) et non douloureuse (hypoesthésie).

    Toute anomalie à l’examen neurologique doit faire envisager une névralgie secondaire.


IV Traitements médicamenteux

Il existe un seul et unique traitement de première intention de la névralgie du trijumeau classique : la carbamazépine (Tégrétol®). L’efficacité de cette molécule est d’ailleurs telle qu’elle constitue pratiquement un test thérapeutique, et qu’elle peut être considérée comme le neuvième critère du diagnostic positif.
On utilise habituellement la carbamazépine dosée à 200 mg, non LP. Le traitement est instauré à dose progressive, en débutant par un demi-comprimé deux fois par jour, jusqu’à la dose minimale efficace. À long terme, la tolérance est souvent médiocre (nausées, somnolence, confusion, vertiges), d’autant que les doses nécessaires s’accroissent (risque d’hyponatrémie, de leucopénie et toxicité hépatique : surveillance par ionogramme sanguin, numération-formule sanguine et bilan hépatique).
En deuxième intention, on peut utiliser le baclofène (Liorésal®) en association avec la carbamazépine lorsque l’efficacité de celle-ci s’épuise. L’oxcarbamazépine (Trileptal®) est une alternative intéressante au Tégrétol® mais n’a pas l’AMM dans cette indication. Il faut par ailleurs être très vigilant par rapport au risque d’hyponatrémie. Peuvent également être proposés en recours, mais avec une efficacité souvent médiocre, la phénytoïne (Di-Hydan®), le clonazépam (Rivotril®) ou la prégabaline (Lyrica®).

V Traitements chirurgicaux

Les traitements chirurgicaux doivent être envisagés lorsque le traitement médicamenteux n’est plus assez efficace ou mal supporté.
A Techniques percutanées
Ces techniques permettent de réaliser une lésion sélective des fibres nociceptives Aδ et C dans le ganglion trigéminal de Gasser, interrompant ainsi la transmission de la douleur.
Les techniques percutanées reposent sur la possibilité d’accéder au ganglion de Gasser en ponctionnant le foramen ovale (fig. 7.3 à 7.5). On peut réaliser soit une thermocoagulation, c’est-à-dire une lésion thermique (vidéo 20), soit une compression avec un ballonnet gonflable.


Fig. 7.3

Sur ce moulage, le foramen ovale, indiqué par la flèche, est bien visible entre le maxillaire supérieur et la branche montante de la mandibule.
Lors de l’intervention, l’aiguille est introduite dans l’axe de cette photographie.



Fig. 7.4

Scopie peropératoire de profil.
L’extrémité de l’aiguille croise le clivus et le bord supérieur du rocher.



Fig. 7.5

Ponction du foramen ovale.
Le point d’entrée se situe à 3 cm environ de la commissure labiale.


Les techniques percutanées ont l’intérêt d’être simples et réalisables sans limite d’âge. Elles permettent une amélioration immédiate de la douleur dans 80 à 90 % des cas. Le risque principal est l’apparition en postopératoire d’une hypoesthésie voire d’une anesthésie de l’hémiface et de la cornée, pouvant conduire à des douleurs neuropathiques. Le risque de récidive douloureuse à moyen ou long terme est toutefois important.
B Décompression microvasculaire
Dans de nombreux cas, la névralgie du trijumeau classique est liée à une compression du nerf trijumeau par une branche artérielle dans l’angle pontocérébelleux (fig. 7.6).


Fig. 7.6

Explication du conflit vasculonerveux et son traitement chirurgical.
Vue schématique de la face ventrale du tronc cérébral, avec le rapport entre le nerf trijumeau et l’artère cérébelleuse supérieure. Il a été décrit un trajet en boucle de cette artère allant au contact de la racine sensitive du V et pouvant être responsable de la névralgie faciale (conflit décrit par Janetta). À gauche et à droite, vue peropératoire d’une décompression microvasculaire du nerf trijumeau droit (intervention dite de Janetta). À gauche avant la décompression et la libération du nerf trijumeau au contact de l’artère. Après décompression, on interpose du Goretex® (c) qui permet d’éviter le contact vasculonerveux. Le champ opératoire est limité en avant par la face postérieure du rocher (a), en haut par la tente du cervelet (b), en arrière et en bas par le cervelet sur lequel est posé un écarteur. Le tronc du trijumeau (d), l’artère cérébelleuse antérosupérieure (e).
Source : dessin de Carole Fumat.


On réalise donc habituellement une IRM à la recherche d’un conflit vasculaire, en demandant une exploration en coupes fines de l’angle pontocérebelleux, avec injection de gadolinium et séquences T2 spécifiques (CISS/DRIVE/FIESTA selon le constructeur de l’IRM).

Si le conflit est identifié et que le patient est en bon état général pour supporter une intervention neurochirurgicale, on peut proposer une décompression permettant un traitement étiologique radical de la névralgie du trijumeau (vidéo 21). Il a été prouvé que la sévérité de la compression était un facteur pronostique de bonne évolution : plus le conflit est marqué, meilleurs seront les résultats de la décompression vasculaire microchirurgicale.
C Radiochirurgie stéréotaxique
La technique consiste en l’irradiation du nerf trijumeau par un appareil de radiothérapie spécifique qui permet de délivrer une dose élevée de façon très focalisée en une seule séance. Le nombre de centres équipés est faible, ce qui en limite l’utilisation. Cette technique est peu invasive, comporte peu de risques (essentiellement une hypoesthésie trigéminale chez 20 % des patients environ), mais son effet s’installe progressivement, habituellement en 4 à 8 semaines. Malheureusement les taux de récidives douloureuses sont comparables aux techniques percutanées.

VI Arbre décisionnel

Plusieurs facteurs interviennent dans la prise de décision : l’âge, l’état physiologique, la topographie de la douleur, les éventuels traitements déjà réalisés (fig. 7.7).


Fig. 7.7

Arbre décisionnel de prise en charge d’une névralgie du trijumeau classique.


Classiquement, on propose les techniques percutanées chez des patients âgés et fragiles. Chez des patients en bon état général et pouvant supporter une anesthésie générale et une intervention microchirurgicale, pour lesquels l’IRM identifie un conflit vasculaire, la décompression microvasculaire reste la technique de référence car elle permet un traitement étiologique et n’est pas lésionnelle. La radiochirurgie peut être une alternative aux deux techniques précédentes, et peut être proposée en première ou deuxième intention.


Points clés
La névralgie du trijumeau classique est une douleur qui est présente dans le territoire sensitif du nerf trijumeau (surtout V2 > V3 >> V1).
Son diagnostic se fait cliniquement. L’examen neurologique doit être normal.
Parfois, il existe en fait un conflit artère-nerf qui explique la douleur ; ce conflit est détecté par une IRM centrée sur le nerf trijumeau.
Son traitement de première intention est médical (carbamazépine), les techniques chirurgicales (décompression vasculaire, thermocoagulation, ou radiochirurgie) seront proposées en seconde intention en cas d’échec ou de mauvaise tolérance.

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